L’identité numérique : cap sur une nouvelle ère de confiance

Du 20 au 23 mai 2025, le forum ID4Africa dressera à Addis‑Abeba le panorama le plus complet jamais présenté des projets d’identité numérique sur le continent. Longtemps cantonné à la simple production de cartes, ce chantier s’est transformé en véritable moteur de modernisation des États et des économies. L’occasion pour nous de dresser un état des lieux de l’identité numérique sur le continent. 

Une preuve d’identité fiable constitue aujourd’hui le sésame d’accès à de nombreux services de base : ouverture d’un compte bancaire, inscription scolaire, obtention de subventions, couverture santé, etc. Et la Banque mondiale rappelle que malheureusement plus de 450 millions d’Africains restent « invisibles » faute de document légal, freinant leur inclusion financière et sociale. 

Pour les États, la généralisation de registres biométriques génère des gains budgétaires spectaculaires : le Ghana par exemple, grâce à la Ghana Card, a déjà éliminé des dizaines de milliers de « ghost workers » et récupéré plus de 400 millions de cedis. 

 Les banques, quant à elles, peuvent réduire de 80 % le coût du KYC et les opérateurs télécoms exploitent la même infrastructure pour l’e‑SIM ou les portefeuilles mobiles. Dès lors, l’identité numérique n’est plus un simple projet informatique : c’est un levier transversal d’inclusion et de performance économique.

La logique DPI : des rails numériques partagés

Sous l’impulsion du G20, l’identité numérique s’inscrit désormais dans la notion de Digital Public Infrastructure (DPI), trio fondamental composé d’un identifiant unique, d’un rail de paiement instantané et d’un système d’échange de données sécurisé.  

Cette architecture change la nature des dossiers : il ne s’agit plus seulement de fournir des kits d’enrôlement mais aussi des PKI (Infrastructures à clés publiques), des passerelles OpenID‑Connect, des modules d’e‑signature et des plateformes open source telles que MOSIP, Mojaloop ou X‑Road. Les ministères de la Transformation Numérique des Etats deviennent ainsi chefs d’orchestre de systèmes ouverts, interopérables et capables d’accueillir les innovateurs locaux.

Le modèle marocain, une référence continentale

Fer de lance de ce mouvement vers l’identité numérique : le Maroc. Depuis 2020, le royaume chérifain déploie la CNIE 2.0 : une carte biométrique NFC dotée de certificats de signature numérique, avec également une app mobile « Mon e‑ID ». Chaque citoyen titulaire d’une Carte Nationale d’Identité Electronique dispose donc d’une identité numérique régalienne lui permettant d’accéder simplement et de manière sécurisée à ses services en ligne. Plus de 4,7 millions de nouvelles cartes ont été distribuées en 2024, y compris dans les régions rurales grâce à des unités mobiles. 

Ce dispositif alimente déjà l’écosystème des services : authentification bancaire, fiscalité en ligne, couverture santé, subventions ciblées, etc. Les enseignements sont clairs : production locale de cartes, chaîne de confiance PKI nationale et gouvernance institutionnelle lisible entre la DGSN et l’Agence du Développement du Digital. Plusieurs États, dont le Togo, le Cameroun et le Sénégal, ont attendu les retours d’expérience marocains avant de finaliser leurs propres cahiers des charges.

Afrique francophone : progrès, technologies et défis

En Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire compte déjà plus de dix millions de cartes biométriques ONECI et propose l’authentification pour l’e‑commerce. Le Bénin, via le RAVIP (Recensement Administratif à Vocation d’Identification de la Population), a institué l’identifiant unique qui alimente l’ensemble des services publics clés. Le Burkina Faso modernise aussi sa CNIB et teste la dérivation mobile pour la signature électronique.  

Dans la zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), le Gabon a lancé en 2024 sa nouvelle CNIE, associée à un programme de subventions aux produits pétroliers. La nouvelle carte d’identité électronique est équipée d’une puce électronique contenant l’identité numérique et un numéro d’identification personnel unique. Le Cameroun, où une large frange de la population vit sans titre d’identité, a démarré l’enrôlement en ligne de sa carte de troisième génération en février 2025. Le Sénégal, lui, finalise la loi instaurant l’Identifiant National Numérique et prépare les premières émissions pour la fin de l’année. 

 Les pays du Sahel avancent aussi malgré un contexte sécuritaire tendu. Le Mali crée une nouvelle agence de l’état civil, tandis que le Niger profite du recensement biométrique des agents publics pour bâtir son registre unique. Enfin, la RDC, après avoir dû relancer son marché d’identification, a initié en 2025 un programme d’identification biométrique des agents publics de l’État en poste dans les ambassades et missions diplomatiques. Le pays s’inspire du modèle Fayda, le système éthiopien d’identité numérique.

 Le socle technologique converge vers des solutions ouvertes : MOSIP s’impose comme plateforme de référence pour réduire les coûts et garantir l’interopérabilité régionale. Les principaux obstacles restent la couverture énergétique des zones rurales, le manque de compétences en matière en gestion de PKI et l’absence d’autorités de protection des données dans plusieurs États. En revanche, les dispositifs de financement, de l’initiative ID4D à la démarche Digital Moonshot de la Banque africaine de développement, offrent des leviers puissants pour accélérer la mise à l’échelle. 

Un continent aux portes de l’économie de la confiance

À quelques semaines d’ID4Africa, l’Afrique francophone aborde un virage décisif. Les projets pilotes cèdent la place à des déploiements industriels, les infrastructures ouvertes façonnent un marché plus transparent et les gouvernements mesurent déjà les retombées budgétaires et sociales d’une identité numérique inclusive. 

Les prochaines étapes, de l’harmonisation réglementaire à l’interopérabilité transfrontalière, exigeront concertation et vision à long terme ; mais la dynamique est enclenchée et l’écosystème formé autour de la DPI constitue un atout unique pour bâtir une économie numérique sûre, accessible et créatrice de valeur pour tous.

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