Interview : Felicite Naissem, d’ingénieure à réalisatrice, itinéraire d’une enfant gâtée
Elle porte si bien son prénom, Félicité Naissem ! Enfant aux dons multiples devenue une adulte douée pour de nombreuses activités, tout ce qu’elle touche avec félicité semble se transformer en réussite ! Mais il faut dire que là, elle s’attaque à une montagne : celle de la condition des femmes.
Remontons aux sources : tchadienne de naissance et américaine de nationalité, il y a une trentaine d’années, Félicité Naissem est très tôt attirée par le théâtre qui l’accompagnera sans interruption tout au long de son parcours atypique.
Elle commence par prendre des cours de théâtre en parallèle de son parcours scolaire. Quand plus tard, adolescente, elle étudie l’ingénierie en matériels et logiciels informatiques, le théâtre n’est jamais très loin.
Et quand ensuite elle entame une carrière de comédienne, l’informatique n’est jamais très loin non plus. C’est grâce au hasard de la vie, à des connaissances communes et à sa passion pour l’informatique que GDExpert a été mis en contact avec Félicité. Acteur incontournable en Afrique et partageant les mêmes causes qu’elle, GDExpert ne pouvait que s’intéresser au travail de Félicité Naissem et l’aider à diffuser ses messages !
Si aujourd’hui elle réside aux États-Unis, Félicité voyage à travers le monde pour présenter son premier long-métrage, Les Marginalisées.
Elle était la semaine dernière à Cannes, où nous l’avons interviewé.
Bonjour Félicité, comment passe-t-on d’ingénieure informatique à comédienne et comment concilie-t-on deux univers aussi éloignés ?
Bonjour. C’est en apparence seulement que ces univers sont éloignés ! Pour moi, ils sont complémentaires. Quand j’évolue comme ingénieure en matériels et logiciels informatiques, la maîtrise du jeu d’actrice m’aide à transcender le quotidien. Quand je suis réalisatrice ou productrice, mes connaissances techniques en informatique me permettent d’élargir mes champs de compétences. Je peux par exemple monter des morceaux de mon film ou créer une affiche.
Mais tout évolue si vite, comment faites-vous pour mener les deux en parallèle ?
Je n’arrête jamais ! (Rires) Encore aujourd’hui, je participe à des formations informatiques. Je me forme sans arrêt ! Le numérique mène à tout, surtout quand on en sort. Et moi, j’aime varier les expériences. J’ai été et je suis actrice, réalisatrice, productrice, designer, scénariste et, en même temps, passionnée d’informatique. Geek et tragique. (Rires)
Tragique parce que vous traitez de sujets difficiles dans le long métrage que vous présentez actuellement ?
Oui. Je ris pour oublier tous les malheurs que j’aborde dans Les Marginalisées.
Les Marginalisées est mon premier long-métrage. Je l’ai écrit et produit au Togo, mais je le porte en moi depuis de nombreuses années. Il parle de la série de malheurs qui croise la route de certaines jeunes filles au fur et à mesure qu’elles grandissent et entrent dans leur vie de femme. De l’excision au mariage forcé, en passant par la violence conjugale ou l’absence d’éducation, j’aborde tous ces sujets qui sont autant de problématiques à regarder en face.
On le voit dans la bande-annonce, vous les filmez parfois crûment. Que cherchez-vous à dire ?
Dans « Les Marginalisées », je veux inviter les hommes et les femmes à réfléchir sur les conditions parfois atroces dans lesquelles évoluent les jeunes filles de certaines parties du monde.
Je voudrais que tous s’insurgent contre cette culture du « Sois belle et tais-toi » commune aux sociétés patriarcales qui finissent par rendre intolérables les conditions de vie de certaines femmes.
À travers Les Marginalisées, je veux dénoncer le silence, les regards détournés face au mal subi par les jeunes filles, y compris les abus psychologiques ou la torture mentale, et ce qui hélas va souvent avec le non-respect de leurs droits.
C’est presque une lutte contre les traditions ?
Pas toutes les traditions ! Mais si les traditions se résument à subir en silence l’excision, le mariage forcé, la violence conjugale et l’absence d’éducation, je ne suis pas d’accord. D’autant moins si les traditions consistent à subir ces obligations sans résister et sans oser s’exprimer. La crainte, voire la terreur d’être bannie de sa famille, ou d’être victime d’un mauvais sort est une réalité.
Le film n’est pas destiné aux personnes sensibles. C’est un long cri qui, toutes proportions gardées, répond en écho aux cris de révolte des femmes iraniennes : Femme, Vie, Liberté !
Y a-t-il une lueur d’espoir ?
Bien sûr, regardez-moi ! (Rires)
Mon film ne fait pas que dénoncer des faits terribles, il propose aussi des solutions aux jeunes filles, il les éduque, il les sensibilise et surtout, il contribue à leur donner envie d’être autonomes. Enfin, je l’espère ! J’essaye de leur donner les clés qui peuvent les aider à devenir indépendantes, financièrement mais aussi psychologiquement, leur donner la force de jouir pleinement de leurs droits !
Vaste programme ! Vous devriez faire de la politique !
(Rires) Oui, pourquoi pas ! Être artiste, c’est une autre forme d’engagement politique. Si je devais en faire, je m’attaquerais à la santé ! Dans mon film, j’aborde aussi la santé des femmes, notamment au travers du dépistage du cancer du sein.
Vous savez qu’en Afrique subsaharienne, non seulement le cancer du col de l’utérus est le plus meurtrier, mais que la progression du cancer du sein est réellement dramatique ? Là encore, je dois m’opposer aux tabous liés à cette maladie et lutter contre des traditions parfois obscures, comme la sorcellerie, qui empêchent certaines femmes de se soigner et les maintiennent dans un déni de réalité de la gravité de leur réel état de santé.
Vous êtes vraiment sur tous les fronts, et ils sont nombreux !
Oui ! Je travaille dur pour contribuer à offrir un avenir meilleur à mes congénères, aux jeunes filles, aux femmes, aux enfants orphelins, et aussi aux veuves dont la condition est parfois peu enviable. C’est aussi pour cela que je continue d’évoluer dans des milieux qui peuvent parfois sembler éloignés de celui des comédiens, des milieux qui ont la gentillesse de me soutenir et de récompenser mon travail. Du certificat pour service exceptionnel de la Commission des immigrants africains de New York, au certificat de reconnaissance du Congrès américain, j’ai également été panéliste aux Nations-Unies pour défendre les droits des femmes, notamment au sujet de l’éradication du virus Ebola en Afrique.
Et nous, comment pouvons-nous vous aider ?
Il y a beaucoup de façons de participer ! À commencer par parler de mon film, Les Marginalisées, mais aussi des Dari Awards, un prix prestigieux national tchadien que j’ai créé pour aider et promouvoir les talents tchadiens.
Peut-être qu’à force, les distributeurs européens entendront parler de mon film et m’aideront à le faire connaître plus largement. Là, j’entame une tournée en Afrique pour présenter le film dans de nombreux pays, mais je ne serais pas opposée à ce qu’il soit diffusé en Europe et aux États-Unis.
La cause des femmes, on le voit en Iran, peut changer la face du monde. J’ai bon espoir d’y contribuer de façon positive et d’en sauver quelques-unes d’un destin tragique que l’on aurait pu croire inéluctable.
Toutes les bonnes volontés et les aides sont les bienvenues quand il s’agit de sauver des vies !
Merci à vous, et à tous vos lecteurs des continents africain, américain et européen, de m’aider à permettre aux femmes concernées de voir Les Marginalisées !
Merci beaucoup Félicité de ce magnifique témoignage et de votre ténacité.
Nous, ce que nous pouvons faire en plus, c’est de vous aider à parfaire vos connaissances en informatique, et bien sûr, recommander de voir, dès sa sortie, Les Marginalisées !
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