Guerre Russie-Ukraine : une tragédie ou une chance pour l’Afrique ?
“ Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs. ”
Cette citation extraite du poème de Victor Hugo, les Chansons des rues et des bois, date de 1865. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts du monde entier, et pourtant, le 24 février dernier, la Russie a envahi l’Ukraine.
C’est à la fois une surprise – beaucoup pensaient que Vladimir Poutine n’oserait pas aller si loin, et guère une surprise – beaucoup avaient la certitude qu’il irait jusque-là, voire plus loin encore.
L’Afrique, comme les autres continents, se prépare aux retombées de cette guerre qui ne dit pas son nom, et qui évolue chaque jour entre l’horreur des désastres, et l’espoir d’une résolution qui permette à chacun des camps de sortir la tête haute de cette folie.
Des relations solides avec la Russie et l’Ukraine
Il faut dire que ces dernières années, dans la foulée des accords de coopération signés par de nombreux pays africains, la Russie comme l’Ukraine se sont rapprochées du continent Africain. L’une et l’autre sont les principaux fournisseurs de céréales en Afrique – du blé en premier lieu, mais aussi de l’orge et surtout des oléagineux comme le tournesol importé pour nourrir le bétail. Il faut le rappeler, pour tous ceux qui pestent sans réfléchir sur la dépendance alimentaire du continent africain, que malgré les efforts déployés, l’Afrique, peuplée de nations jeunes et dynamiques, reste composée de grandes zones désertiques où, malheureusement, rien ne pousse ! Ce qui explique la nécessité d’importer entre autres des céréales.
Lors de l’adoption à l’ONU le 2 mars de la résolution qui « exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », plusieurs pays africains se sont abstenus, malgré une écrasante majorité de pays pour. En adoptant “un profil bas diplomatique”, certains pays d’Afrique, comme l’Algérie, la République centrafricaine, le Mali, ou encore l’Afrique du Sud subissent des pressions diplomatiques de la part de l’Union européenne ou de la Russie pour qu’ils expriment leur point de vue sur la guerre en Ukraine.
23 pays du continent ont soutenu le texte, mais 16 se sont aussi abstenus, tandis que 8 étaient absents, notamment le Maroc ou le Burkina Faso. Et un pays a voté contre, l’Érythrée, qui a justifié son vote négatif par “son rejet des sanctions unilatérales qui ne servent qu’à exacerber les tensions, au détriment des populations civiles”. Cette abstention reflète l’ambiguïté d’une grande partie du continent vis-à-vis de ce conflit.
Certains sont des alliés de longue date de Moscou, comme Alger, et d’autres sont en train de se rapprocher des Russes, comme le Mali où les forces russes aident les gouvernements à combattre des insurrections. Difficile donc de prendre parti quand on sait que la Russie est en train de nouer des relations poussées avec plusieurs pays d’Afrique.
La situation difficile des Africains en Ukraine
Grâce à ses frais de scolarité abordables et à ses liens avec l’Afrique remontant à l’ère soviétique, l’Ukraine apparaît comme une destination de choix pour les étudiants africains qui viennent étudier à l’université, notamment en médecine. Aujourd’hui les étudiants représentent l’essentiel des ressortissants du continent africain en Ukraine, dont la majorité est des Marocains (8 000), Nigériens (4 000) et Égyptiens (3 500).
Avec l’éclatement de la guerre, leur sécurité suscite de plus en plus d’inquiétudes. Entre les bombardements et l’impossibilité de quitter le pays pour certains, les ressortissants étrangers sont appelés à se “réfugier” chez eux ou dans des abris désignés par leur gouvernement. Une inquiétude grandissante au vu de la situation qui semble se compliquer dans le pays.
La montée en flèche du prix de l’énergie
La guerre en Ukraine affole les marchés financiers et ceux des matières premières, en particulier ceux du pétrole. Le prix du baril vient de dépasser les 100 dollars, une première depuis plus de sept ans. En impactant le prix des carburants, cette hausse du pétrole provoque également celle du transport et des biens de consommation sur le continent, risquant de ralentir les échanges mondiaux.
En première ligne : les ménages africains. Cette flambée des prix provoque également celle du transport et des biens de consommation sur le continent, risquant de ralentir les échanges commerciaux à l’échelle mondiale. Le prix du sucre à la hausse au Sénégal, le kilo de pommes de terre qui flambe en Algérie… la facture des courses alimentaires ne cessait déjà de s’alourdir ; une situation qui ne risque pas de s’améliorer avec la guerre en Ukraine.
Le danger auquel l’Afrique est aussi confrontée est la hausse probable des prix du pain, le blé étant fourni à 30% par la Russie et l’Ukraine. Plusieurs pays du Maghreb comme l’Égypte, la Tunisie, le Maroc, la Libye ou l’Algérie importent l’essentiel de leur blé dans ces deux pays en guerre. En Afrique subsaharienne, des pays comme le Togo, le Cameroun, le Sénégal ou le Nigeria, seront inévitablement concernés puisqu’ils s’approvisionnaient également auprès de la Russie. Une situation critique qui fait écho à la guerre du printemps arabe pour laquelle la hausse des prix des denrées alimentaires a été l’étincelle de la révolution.
Les réserves des pays africains en céréales sont en moyenne de quatre mois. C’est un délai très court, mais un délai tout de même, dont on espère que les pays concernés sauront tirer parti.
Au chapitre énergétique, si la donne est à peu près la même, les conséquences elles, pourraient être différentes. Les prix du gaz naturel ont grimpé en flèche et gagné près de 40 % aux premières heures du conflit. Si l’Europe s’inquiète de voir ses relations se détériorer avec une Russie qui lui fournit chaque année près de 40 % de ses besoins énergétiques, voilà une opportunité à saisir pour les pays africains producteurs de gaz comme la Tanzanie, le Mozambique, la Mauritanie, le Nigeria ou le Sénégal.
Mais plus encore pour l’Algérie : 3e fournisseur de gaz pour l’Europe. L’Algérie a d’ores et déjà annoncé être disposée à contribuer à la sécurité énergétique de ses partenaires européens. La guerre Russie Ukraine va-t-elle rebattre les cartes ?
Or et autres minerais, les réserves du continent africain
S’il est une chose qui ne change guère c’est le rôle de valeur refuge de l’or. Cette fois encore, aux premières heures du conflit, l’once d’or a bondi. Une hausse dont, entre autres, le Ghana, l’Afrique du Sud, ou le Mali pourraient bénéficier. Pour ce qui concerne les autres minerais, plus le conflit dure, plus les minerais autrefois fournis par la Russie, comme le nickel, l’étain, le platine ou le cuivre, pourraient manquer. Encore une autre opportunité pour les sous-sols africains !
« La guerre en Ukraine pourrait déclencher un ouragan de famine » a alarmé mi-mars Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, en évoquant un effondrement du système alimentaire mondial dont l’Afrique serait une des premières victimes.
Certes, mais c’est oublier qu’au chapitre énergétique, au chapitre de l’or, et des autres minerais, les ressources africaines sont immenses et contiennent de quoi palier cette crise en remplaçant dans les échanges internationaux les produits que la Russie ne fournira plus. Lors de la seconde guerre mondiale, où les ressources sont elles aussi venues à manquer, la plupart des pays africains cités n’avaient pas encore pris leur indépendance. Aujourd’hui les conditions sont différentes. Les bottes font partout le même bruit, et les tambours de guerre, aussi.
Espérons que, quels que soient leurs pays de résidence, les ventres affamés auront tout de même des oreilles pour choisir les gouvernants qui les mèneront vers des solutions innovantes pour moins de dépendance alimentaire, et plus de relations commerciales profitables pour tous ! Espérons enfin que cette guerre soit parmi les dernières et qu’elle permettra, aux uns de prendre conscience de l’absurdité des conflits armés, et aux autres des richesses dont ils sont dépositaires.